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Conférence pour les écrivains des premières nations, Vancouver

Serge Emmanuel  Jongué
Courrier traduit  en 2017
de l’anglais au français –

à

Writting Thru “Race”
The Writers Union of Canada
Pacific office 3102 Main St.
Vancouver B.C V5T 3G7

 

Montréal,
Juillet 1994
Re : conférence pour les écrivains des premières nations et les écrivains de couleur.
Je serai heureux et ce serait pour moi un grand plaisir de participer à l’un des panels de votre conférence. Je travaille actuellement à un projet de livre intitulé « Contredanse ».  Ce manuscrit actuellement en chantier touche plusieurs thèmes proposés pour les panels de discussion.
Ce qui suit décrit mon projet Contredanse et comment il s’insère dans les thèmes proposés.

  • Art visuel et texte : Je suis à la fois écrivain et photographe et donc particulièrement intéressé à participer à un débat sur ce sujet.
  • Positionnement comme écrivain métis/histoire familiale : en tant qu’écrivain métis parce que l’histoire de ma famille est une histoire de métissage liée à mes diverses origines. Le concept de métissage est un thème central de mon œuvre.

D’après ce qu’on ma dit ma mère était polonaise et mon père originaire de la Guyane française, ma grand-mère maternelle aurait été une autochtone caraïbe ayant immigré de la Martinique en Guyane. Mon histoire est si floue que j’ai encore des incertitudes sur les circonstances entourant la vie de mes grands-parents. Toutefois et ce pour un certains nombre de raisons, je n’ai pas fait de recherche exhaustive sur les origines de ma famille ; peut-être à cause du vécu de tous ces deuils et de la souffrance ressentie. Je me suis réfugié très tôt (dans ma vie) dans l’imaginaire, je me suis alors construit une histoire familiale fictive à partir des informations contradictoires données par mon père.
En privé mon père me disait qu’il était originaire de la Guyanne française et en public, il disait être originaire de la Martinique, ce qui était contredit par les documents officiels. De la même façon il disait que ma mère était une journaliste russe qui s’était appropriée le passeport de son amie polonaise décédée alors qu’elle s’enfuyait d’un camp de concentration durant la seconde guerre mondiale. Mon père me racontait aussi que son grand-père venait de Sainte-Lucie, ce qui est fort possible puisque dans mes rencontres durant mes voyages ont m’a parlé de Jongué de Sainte-Lucie.
Il y a beaucoup de demies vérités, de trous et de silences dans la manière dont mon père m’a raconté l’histoire des origines de ma famille Caraibéenne. J’ai ressentie une grande tristesse et amertume sur les omissions et mensonges  de mon père à propos de mes origines familiales. Par ailleurs mon manque de motivation et ma peur m’ont empêché de faire des recherches sur mes origines familiales. J’ai éprouvé de la honte  à l’égard de certains des mensonges de mon père.
« Contredanse » aborde ces problèmes à la racine, la frontière floue entre la fiction et la réalité. Durant ces trois dernières années, j’ai écrit sur la manière dont les enfants métis essayent de se construire et d’exprimer leur identité métisse ; essayent d’imaginer le pays de leurs parents et en même temps, leur représentation mentale de la vie de leurs parents dans leur pays d’origine.
Je  dois aussi malheureusement reconnaître que « Contredanse » touche aussi au thème de la violence psychique des parents. Je suis profondément attristé par cette réalité et en même temps, je sentais que je devais explorer et faire la lumière sur ce tabou.
Je conçois la narration de Contredanse en images, photographies en noir et blanc et en couleur avec du texte, le tout formant une narration. Par exemple, certaines parties pourraient être comparées à un roman classique, avec des personnages etc.. alors que d’autres  seraient composées avec des images et textes indépendants.  Je comprends très bien que ce mode d’expression pourrait semblé baroque ou démodé, mais c’est la seule manière dont je peux dire ce que j’ai à exprimer.
Territoire – identité et amour aussi ;
Ce n’est pas facile  en Amérique du nord de composer à la fois avec le fait d’être un immigrant et un métis, surtout au Canada, pays avec deux langues officielles et plusieurs solitudes. La façon pour moi de vivre avec cette situation a toujours été et est toujours de se mettre à l’écoute de la nature. J’ai eu la chance de voyager en Ontario, à terre-Neuve, dans les maritimes et plus récemment en Alberta, et j’ai pu établir ce lien avec la nature. Durant ma résidence au centre d’art de Banff, j’ai pris l’initiative de rencontrer des personnes issues des premières nations, Mohawks, Sioux et Cries. Pour être honnête et très direct, j’aurai voulu être adopté et devenir un Mohawk et faire vraiment partie du territoire de l’île de la Tortue*. Je suis actuellement entrain d’examiner les rapports entre ma langue maternelle et l’anglais, ma langue maternelle est donc le français.
Durant ma résidence à Banff, j’ai découvert que plusieurs de mes textes en anglais laissent transparaître ma maîtrise limitée de cette langue. J’ai aussi découvert que mon désir de m’exprimer dans une autre langue me permettrait de voir la réalité d’une autre façon. J’imagine Contredanse avec des textes en français et d’autres en anglais. J’aimerais aussi pouvoir parler Mohawk comme quelqu’un me l’a suggéré. Mais il faudra attendre pour cela. Entre-temps je serai heureux d’être invité à votre conférence et de parler d’immigrants qui sont venus à l’île de la Tortue, de la manière dont les premières nations ont pu être anxieux face à ces nouveaux arrivants qui ignoraient l’histoire de l’île de la Tortue.
J’ai été honnête dans ma présentation et j’espère que vous accueillerez mon intervention.
Je vous enverrais bientôt des diapositives concernant mon travail avec un texte en français.
Je déteste la façon dont la plupart des gens ont découvert les Amériques, mais je me demande maintenant comment nous pourrions partager dans le futur proche, amour et territoire parce que les choses les plus importantes de la vie ne sont pas les choses, mais la pensée et la spiritualité.
* Nom mythique donnée parle les Iroquois pour nommer l’Amérique du nord.