Caroline de Vries, Cyberpress Photography.com
Je est un autre, Suite Cubaine
De cet autre monde, Serge Jongué a pu faire l’expérience en reconnaissant en l’île de Cuba, la terre d’incarnation de ses mythologies personnelles, d’une certaine « latinité » à laquelle ses origines pour moitié Guyanaise le renvoyaient. En effet Jongué a été séduit par le caractère heurté de Cuba, entre dénuement au quotidien et science de la survie.
Les photographies qu’il y effectue fonctionnent comme autant d’ex-voto à ses propres démons, photographies qu’il assemble ensuite en un mur, reflet « d’une réalité fragmentaire ». Les titres, donnés à chacune des photos, sont griffonnés à la hâte sur de morceaux de scotch, évoquant celui que l’on appose aux cartons de déménagement. Sur ce chemin de croix, que la religiosité syncrétique de Cuba exaspère, l’on rencontre la Mort qui s’annonce sous les traits d’une antique automobile dénommée « Viaje » (voyage), et dont les phares luisent dans le crépuscule. De même, l’image emblématique de la série selon Jongué, «A l’agonie», figure un homme s’échappant du cadre, l’un des rares personnages de l’ensemble, mais dont la disparition est annoncée. Le désir fugace, insaisissable se porte sur les femmes, Vierge ou mères, l’amour ne se fait que dans un lit « caché » qu’il le soit par des rideaux ou suggéré comme tel par un titre tel que «Tu cama escondido». Mais aussi le Temps, dont l’importance est soulignée par la prépondérance de photographies d’espaces vides et le choix d’appellations telles que «Dimanche» ou bien encore « Midi ».
Serge Jongué retravaille ses images qui acquièrent une qualité proche d’anciens Polaroïds, de leurs tonalités assourdies et de leurs contours estompés. En cela, il prolonge son monologue au-delà de la prise de vue et croise à nouveau ce « Je», le «Yo» de l’une de ses images, personnage inidentifiable et fantomatique saisi au détour d’un patio.