Élaine Fafard- Marconi, étudiante en Histoire de l’art, Université de Montréal
15 mars 2007
Totem : la messe américaine
À prime abord, ce qui est exposé ici ne semble être qu’une autre série photographique documentaire d’ordre anthropologique. Cependant, « Totem : la messe américaine » n’est d’aucune façon documentaire. En fait la série de photographies couleurs de totems issus de la communauté amérindienne haïdas et de détails naturels se situerait davantage au plan de la photographie expressive ou plutôt, selon l’interprétation de Ève-Lyne Beaudry, commissaire de l’exposition, de la photographie impressive. C’est-à-dire, Jongué projette ses propres impressions sur ses photographies. Jongué disait jadis
qu’ « ’il n’y a pas de documentaire à proprement parlé ». Pou, surtout connu pour cet artiste, surtout connu pour ses reportages-photos, cette déclaration peut sembler étonnante. Néanmoins comme l’a mentionné la commissaire durant son allocation lors du vernissage, Jongué depuis les années 1980 était fasciné par le rapport entre mots et images mais aussi par le pouvoir expressif des images. Cette nouvelle attitude l’amènera à considérer les procédés numériques, tel que Photoshop, comme outils privilégiés d’expression. Cette toute dernière série a été réalisée lors d’un séjour aux îles de la reine Charlotte, située en Colombie –Britannique, berceau de la civilisation haïda. Cette série s’intéresse entre autre, à la relation culture-nature. Considérant le totem, arbre humanisé et façonné de symboles, ainsi qu’expression définitive d’un peuple, donc d’une culture qui laisse sa trace à même la nature, Jongué arrive à exprimer cette relation. Lorsqu’on examine de plus près les planches –contacts exposés au grand public, on s’aperçoit que la série « Totem ; la messe américaine semble inachevée. l’artiste diplômé en littérature à l’université de Montréal, allait ancrer par le biais de masking-tape, un titre à chacune de ses photographies, soit un mot qui deviendrait partie intégrante de l’œuvre. Néanmoins, de son vivant, il put accentuer certaines couleurs et rejouer avec le cadrage de la photographie originelle grâce à des procédés numériques. Ce processus relève d’une certaine façon de la démarche picturale et permet à l’artiste d’intervenir directement et virtuellement sur la photographie ainsi projeter ses impressions sur l’image.
Lorsqu’on rentre dans la salle, on remarque que chaque photographie d’un détail de totem haïda est associée à un autre détail naturel. Ces « duos » dialoguent à plusieurs niveaux. Prenons par exemple Wrath-Wound » Le détail totémique représenté par un personnage qui paraît en colère est poétiquement associé et vice-versa à une photographie d’un arbre ayant un gigantesque trou dans son écorce. Ce qui est frappant dans ses photographies est la présence sous-entendue de la mort. Pour ainsi dire, les totems photographiés par Jongué ne sont ni glorieux et ni éclatants de couleur. Au contraire, leur écorce se détériore et la peinture s’écaille. On assiste finalement à la fin de vie d’un totem. Dans cette même optique, la nature captée par Jongué, un peu à la manière des totems, se détériore tout autant. Pourtant, soulignons que même si les totems sont appelés à disparaître un jour, ils seront remplacés par d’autres. D’un second coup d’œil, la vie est présente de la même façon que la mort hante ses images puisqu’une pointe de regénération végétale apparaît tout doucement sur les arbres qui sont à deuxième vue en train de renaître sous nos yeux.
En somme, ce qui retient l’attention est le dialogue du cyle de la vie qu’entretient le duo de photographies. Chaque duo est un écho formel et métaphorique de l’une et de l’autre. Ainsi Jongué va au-delà de la photographie documentaire ou du simple constat anthropologique, habituellement exploités dans les musées d’art aussi bien qu’anthropologiques. Jongué à travers cette série ne décontextualise en aucune façon ces totems comme le ferait un musée d’histoire naturelle qui de par sa volonté de préservation, déracine les totems de leur milieu environnemental et perturbe leur destin, leur cycle de vie et les fixe dans le temps. Au plan idéologique, lorsqu’on fait face à un totem en milieu muséal, on fait face en quelque sorte à un certain immobilisme de la part des communautés amériendiennes. Cependant, à travers les totems et les détails naturels de Jongué, on découvre les Haïdas sous un angle intimiste, spirituel et en perpétuel renouvellement. Il est intéressant de constater que le regard porté par l’artiste sur l’art du totem forcera peut-être le spectateur à remettre en question la mise en exposition conventionnelle de la culture des communautés amérindiennes.