Serge Emmanuel Jongué (Note d’atelier)
Une série d’images faites sur le thème des arbres urbains (Totems de ville, installation, Galerie Entre-cadre, Montréal, 1995) m’a aiguillé vers une dimension de l’arbre marqué par le temps, l’environnement humain, bref, un arbre humanisé à son tout. Juxtaposition idoine entre nature et culture.
Tout naturellement, je l’abordais comme esprit. Totem, parce que les occurrences de ses apparitions ne se limitaient pas à l’arbre proprement dit, mais tout aussi bien à la disposition d’un certain panneau de signalisation ou même à un bâtiment de configuration particulière comme l’Iron building de NYC par exemple.
Une décade plus tard, aux îles de la Reine-Charlotte, le creuset initial des totems, issus de la culture haïda, je commençais à pressentir ce nœud gordien : le totem comme aiguillage, échangeur, structure rituelle entre nature et culture, atavique, social et symbolique.
Émotivement, et pour la première fois, je me retrouvais au mitan d’une machinerie (au sens propre de « salle des machines »), dans une forêt interminable, incroyablement touffue, une manière de mangrove de l’hémisphère nord. Et là, il m’était donné de voir l’arbrisseau poussant sur la souche morte ou, vice-versa, le squelette relevé dans les airs par une théorie de jeunes pousses; une métaphore visuelle tout à tout cruelle ou ironique de la contiguïté, voire du conjungo entre la vie et la mort.
Pour les Haïdas le totem est destiné à disparaître, à être remplacé par d’autres, comme nous, humains. Il est étrange parfois en forêt de se demander si tel tronc affaissé est un totem ou le fruit d’un imaginaire fortement sollicité par la force extrême des lieux. Tout aussi étranges ces rencontres, telles que celle d’un aigle pêcheur survolant chaque petit matin un totem à son effigie. Le réel côtoyant le symbolique.
Hormis les sites de Kispiox et ’Ksan en Colombie-Britannique, la plupart des images ont été réalisées au nord de Graham Island et particulièrement entre Old Masset et le site de Tow Hill. Totems omniprésents : devant les maisons, dans les cimetières, dans les baies face à l’océan. Au retour une grande fatigue suivit, accompagnée d’un esprit anesthésié, amnésique aux gestes du quotidien.
Serge Emmanuel Jongué, juillet 2005