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MOI CHRISTOPHE COLOMB LÉGITIME

Amérique. J’en suis parti avant que d’être tout petit, dans le bagage d’espoirs de mon père quittant Guyane. Amériques, aujourd’hui j’y suis de retour par détours multiples du destin et des âges. Dans mes yeux, les neiges de la nordique ont pris relais du regard de papa découvrant les côtes brésiliennes, enfant. Lui cargos poussifs, moi avions sans réplique, aseptisés, inodores, oxygénés. Mais toujours nous deux parcours. Nous tradition de voyage. Encore. Prolongation. Arbre de famille en constant mouvement. Amérique, pour lui, disait nostalgie du retour, Amériques, pour moi, se tissent, selon, soit en sauts de puce soit en longues enjambées de jets qui se rient à la fois du temps et de l’air du temps.

Mes Amériques sont mentales. Elles se dévoilent et se disent en aventures intimes : jo de Paris, 18e arrondissement; Prisca de Santa Lucia, Ed des Trois-Illets, Martinique, mon ami Hugo et sa goélette imaginaire dans un souvenir de Paramaribo en bandes dessinées : Juancito et Amantina, là-bas à Las Terranas, mon village d’adoption, Saint-Domingue, et puis Muriel, New-York cité; et puis encore Charlie, Petite Haïti, coin Beaubien et Saint-Laurent à Montréal.

Je meringue, je turlute et je biguine pour garder mien cet air de famille que nous avons à respirer du même souffle le même air. Et dire que nous sommes Amériques Noires également : café au lait ou café moka selon les méandres de vie de nos ancêtres. J’aime les îles. Toutes. Leur manière de concentrer la vie. Montréal-île, à la croisée deux millénaires de vie, avec son aéropage d’humains bigarrés, réunis par force de destins mal assortis, à essayer d’esquisser un pas de danse inédit malgré.

Nous Christophes Colombs légitimes : Santo Domingo, Guyanes, rues Saint Laurent ou boulevard Lacordaire, Américas Lindas. Christophe n’était pas le plus machiavélique. Cohortes politiques, intégrismes catholiques et législatifs ont géré, beaucoup plus rationnellement son désir de découvrir de nouvelles routes. Américains. Déportés, découverts ou emportés; attirés ou cerclés savamment en Réserves. Langues, gestes, espaces culturels opposés et orchestrés dans la cacophonie brutale de l’Histoire et des légitimismes. Moi aussi, comme beaucoup pense qu’Amériques devraient, après tout ce temps, parler plus des vivants que des ancêtres. Mais souvent Amériques me sont encore déniées. Second et double exil pesant qui pollue ma vie tous les jours de grisaille. Et pourtant tous parmi nous ont par géniteurs interposés, voyagé déjà : canots-portage, bateaux négriers. Caravelles des filles du Roy. Tous, toutes ont senti le goût et la peur du vent. « Le pays appartient à celui qui le marche ». Je ne me souviens plus si le proverbe est montagnais ou mohawk. Je m’y reconnais de toute façon. Donc je marche à mon tour. À découvrir l’odeur des gestes, et le regard des visages blonds, basanés ou rouquins que je croise. Pour sûr c’est mon territoire que je suis en train de parcourir aujourd’hui. Je me souviens. À ma façon.

Serge Jongué

Texte publié dans CV Photo No20