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Suite cubaine 2002-2005

Serge Emmanuel Jongué (Note d’atelier)

Tout d’abord l’enchantement des couleurs et de la matière, leur entremêlement. Je veux dire aussi, et en contrepoint, ces gammes de gris entre le végétal et le minéral, calle Aguacate, au cœur de la Vieille Havane. Ensuite la traversée de l’île. De part en part, comme dans une urgence de vivre, avant que d’en être floué soi-même, un imaginaire tant retenu, tant entretenu. De la Havane, Beyrouth des Antilles, par Camaguey la presque médiévale, pour aboutir aux docks de midi de Santiago l’Africaine.

Le temps s’est très vite fragmenté, les images aussi ; les haltes plus ou moins longues mais sans desseins préétablis. Chronique toute simple, éclatée : comme un abécédaire des jours. Avoir soigneusement évité Santa Clara ne m’a aucunement empêché de rencontrer partout le Che et l’amertume de la perte consommée de mes mythes adolescents et des ses mythomanies afférentes. Delusion, comme le nomme avec pruderie la langue anglaise. Alors qu’il s’agit plutôt d’un extrême Dire.

Fiction photographique. Comme du Jazz griffonné. Essai à une invariable imperfection qui seule serait à la même de permettre la vue mentale, l’émotion et non son masque, son enveloppe de circonstances.

Ainsi, dans cette Suite, les humains sont les acteurs d’une scène qu’ils ne traversent que brièvement (entre l’irruption et la fuite) pour laisser place aux machines et aux publicités transfigurées par les intempéries en autant de fresques et de masques.

En écho à la perte des images de jeunesse, le narrateur, le titreur, un être aux confins, une espèce de Quasimodo du langage avec sa graphie inégale, et qui parle plusieurs idiomes sans en posséder vraiment un seul. Tentative d’englober cette cristallisation, cette minéralisation des mythes laïques révolutionnaires et des religions syncrétiques, des chromos américains des années quarante et de l’architecture soviétique. Et surtout, la Vie et la Mort qui se côtoient, se conjuguent au parfait quotidien comme seul cela peut se concevoir en Amérique latine. Je me suis attardé aux détails, aux animismes, à la Ville, à l’île théâtre d’absence. Ode à la ville vidée. Sauf à la nocturne, quinze nuits éternelles pour incanter l’Amérique du mitan, le désir profane et le Sacré au quotidien, la Vierge Marie et la Santeria. Le tout pour découvrir bref répit donné dans ce pas de danse parfois macabre parfois paisible entre la vie et la mort dans le rire festif de l’inéluctable fatalité. Ce flirt irréparable.

Serge Jongué, Montréal, Hiver-Printemps 2005